Par Sarah Khorchi et Siham Nassef
Priorité aux personnes « issues de la diversité », attention particulière aux dossiers de boursier·es : depuis quelques années, c’est la course à l’inclusivité dans les rédactions. Pourtant, si elles affichent une bonne volonté, beaucoup restent encore très « blanches » et homogènes. Entre l’être et le paraître, le chemin reste encore long.
« On veut de la diversité visible », Morgane Bak est catégorique. Si cette phrase peut en choquer certain·es, la directrice adjointe des ressources humaines du groupe Le Monde et l’Obs assume. « Nos rédactions sont blanches. Il faut que ça change. » Alors pour recruter de nouvelles têtes, le service RH n’hésite pas à créer des offres ciblées. La voie royale : l’alternance. « Nous ne prenons que des personnes issues de cette diversité visible. Cela permet de montrer des profils différents, qui n’ont pas les mêmes regards », explique la responsable.
Souvent évoquée, mal définie, la notion de diversité pose encore des questions. « Est-ce qu’un journaliste qui est à l’AFP depuis 20 ans est toujours de milieu populaire ? », se demande Claudia Rahola, responsable de la cellule diversité au sein de l’agence de presse. De la même manière, est-ce qu’une personne noire de classe aisée peut être concernée par le débat ? Pour Ali*, 37 ans, journaliste indépendant, l’utilisation du terme est généralisé sans véritable fond. « Dans les années 90-2000, quand on évoquait ce mot, on parlait de la race. Il faut savoir distinguer entre la diversité raciale et sociale. Les gens ne veulent pas dire les choses comme elles sont. »
Conscience aveugle
Quand ils en parlent, les médias semblent avoir envie de changer. Mais entre dire et faire, il y a un monde. Dans un milieu où l’entre-soi et le copinage sont souvent la norme, il devient difficile aux personnes d’horizons divers de passer la porte des rédactions. Ali observe ce problème depuis sa sortie d’école. « La plupart du temps, ils prennent des connaissances ou des journalistes qui ont déjà travaillé pour eux. Compliqué d’avoir sa chance. »
L’homogénéité sociale et ethnoculturelle reste omniprésente, donc il est parfois compliqué de changer leurs regards. Si la volonté d’inclusivité pourrait faire bouger les lignes, dans les faits, les rédactions ne sont pas encore prêtes à bousculer leurs codes. « On parle de profils « atypiques », après on les juge “trop différents” ou n’ayant pas les codes. Ils les définissent beaucoup comme militants. Peut-être qu’ils ont juste envie de raconter d’autres récits », pointe Pascale Colisson. Responsable pédagogique de l’apprentissage à IPJ Dauphine, elle travaille actuellement sur une thèse autour des jeunes journalistes à l’épreuve de la diversité dans les médias. « C’est très difficile de faire reconnaître aux journalistes qu’ils sont imbibés par leur histoire, leur environnement, leur culture et leurs centres d’intérêt. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, c’est juste compliqué de se décentrer », poursuit la chercheuse.
Pourtant, pas le choix. Les entreprises doivent attirer de nouvelles recrues pour diversifier leur audience. Car un manque de représentativité exclut une part de la population. Un impératif démocratique… et économique. « Il y a une réelle volonté, mais également un argument marketing. Les médias sont en crise parce qu’ils ne s’adressent qu’à une partie de la population. Ils ont besoin de renouveler les effectifs pour avoir de nouveaux points de vue et de nouvelles manières de traiter l’information. Ils en ont aussi besoin pour survivre », juge Baptiste Giraud, chargé de communication à La Chance pour la diversité dans les médias.
Plusieurs médias, le même regard
En tout cas, outil marketing ou bonne volonté, l’envie d’inclusivité est de plus en plus affichée. Une ambition certes, mais un besoin aussi. Selon un sondage réalisé en 2017 par Vivavoice à l’occasion des Assises du Journalisme et de l’information, 55 % des Français·es interrogé·es estiment que la diversité des origines n’est pas suffisamment représentée dans le paysage médiatique Si on ne peut pas avoir de données basées sur ce critère – les statistiques ethnoraciales étant interdites en France – les résultats du sondage restent révélateurs. Car, qu’on le veuille ou non, actuellement beaucoup de rédactions sont encore très homogènes.
Les parcours se ressemblent, les profils sont les mêmes, l’environnement aussi. Forcément, considérer des expériences autres que les siennes devient compliqué. Claudia Rahola de l’AFP, en est bien consciente. « Dans nos services, on est tous un peu pareils. Ça ne nous a pas aidé à anticiper des choses comme le Brexit ou encore l’élection de Donald Trump. Aujourd’hui, il est essentiel d’augmenter la diversité pour pouvoir mieux traiter le monde qu’on couvre au quotidien. »
Pas besoin d’aller à l’international pour constater les écueils français. L’entre-soi de celles et ceux qui font l’actualité s’est clairement ressenti au moment des Gilets Jaunes. Un traitement jugé déconnecté, souvent éloigné et non représentatif de la réalité des manifestant·es. À l’écran et derrière les micros, des journalistes qui parlent de vies et de problèmes qui leur échappent. « On pouvait remarquer que les gens qui couvraient n’avaient pas dans leur entourage des personnes vivant avec un SMIC », note Christine Larrazet, chercheuse au centre Émile Durkheim et autrice de Blacks in Time – Race et médias aux États-Unis (Éditions PU Rennes, 2021). Mais fallait-il vraiment attendre des événements pour se rendre compte du manque de diversité ? Pourquoi autant de temps pour pointer du doigt un problème pourtant évident ?
Chez les Américain·es en tout cas, le débat a commencé dès les années 60. En France, la question de la diversité ne s’est posée que vers la fin des années 90. Et là encore, elle ne concernait que l’aspect visuel. Depuis 2009, le CSA (actuellement ARCOM) publie un baromètre. Son objectif : mesurer la diversité à la télévision, que ce soit à l’antenne ou sur les écrans, uniquement. Un réel problème selon la chercheuse Christine Larrazet. « La façon de voir le problème en France est, jusqu’à maintenant, réduite à un seul aspect : le visuel, pas le contenu. Depuis deux ans, ça commence à bouger. Mais ce sont des initiatives venues de l’étranger. Le Bondy Blog a été créé par des Suisses. La Chance est présidée par Marc Epstein, un Britannique. On a tellement de retard qu’on a besoin d’une aide extérieure.»
« Les écoles sont élitistes »
D’accord, les initiatives sont nombreuses. Le débat est posé et bien entamé. Mais les obstacles devant celles et ceux qui souhaiteraient rejoindre le métier sont encore multiples. Le premier : l’entrée en formation. « Les écoles sont élitistes. Déjà tout le monde n’est pas égal face au concours, surtout quand on parle de culture générale. Ma culture n’est pas celle d’un Parisien du 16e arrondissement. Et je pense que pour les écoles de journalisme, la culture, c’est celle-là », témoigne Leïla*, 24 ans, journaliste dans un quotidien national.
Autre frein : l’aspect financier. Les frais de dossiers, de déplacements et d’inscription filtrent déjà les candidat·es. Pour des personnes aux moyens limités, envisager d’entrer dans ce métier est déjà compliqué. Leïla le constate. « Dans ma promo, il y avait plusieurs personnes qui avaient fait la prépa de l’ESJ Lille. Là, tu te demandes s’il n’est pas plus facile d’accéder à une école de journalisme quand on est riche. »
Certain·es candidat·es ne roulent pas sur l’or. Les médias non plus. Le métier se précarise. Beaucoup d’heures, d’années d’études avec à la clé… un SMIC. Pour une personne aux moyens limités, le chemin serait trop long. Aussi long que celui à parcourir par les rédactions pour être enfin représentatives de la société qu’elles racontent.
* Les prénoms ont été modifiés