Par Samuel Cardon et Alexandre Tellier
Depuis plusieurs années, les éditorialistes occupent une place de plus en plus importante dans les médias français. Si certain·es sont spécialisé·es, d’autres s’expriment sur une multitude de sujets, et alimentent la mécanique du buzz. Pour y voir plus clair et questionner ce métier, nous avons dressé le classement 2022 de celles et ceux qui monopolisent l’opinion.
Avec la prolifération des chaines d’information en continu, éditorialiste est devenu une fonction unique. Nicolas Doze, Pascal Perri, Renaud Dely, ces noms ne vous disent peut-être rien, pourtant ils occupent la tête de notre classement. Omniprésents sur les plateaux télé et dans les studios radio, ils analysent, critiquent et donnent leur avis sur l’actualité.
Les rois de la polémique
Historiquement rattaché⋅es à une rédaction, les éditorialistes sont de plus en plus autonomes. Une évolution expliquée par Philippe Riutort, professeur de sciences sociales en lettres supérieures au lycée Henri IV à Paris et spécialiste de la question. « La presse française a toujours été une presse d’opinion. Si à l’époque l’éditorial était le point de vue officiel du journal, écrit par une personne qui occupait une position d’autorité, ce poste est dorénavant incarné par un journaliste assez titré, connu, qui parle en son nom propre et qui est capable de donner un avis. »
L’inflation du nombre d’éditorialistes, essentiellement dans les chaînes d’information en continu, s’explique aussi par l’économie de l’audiovisuel. Une émission en plateau ne coûte en effet pas grand-chose à produire, permet d’assurer un certain modèle économique et de créer des figures qui deviennent familières du public. La mécanique du buzz, logique qui consiste à « clasher », pousse certain⋅es de ces éditorialistes à la polémique et les amène parfois à donner leur avis sur des sujets hors de leurs domaines de compétences. Cette tendance est également amplifiée par une logique de visibilité sur les réseaux sociaux.
Expertise ou café du commerce ?
« Quand on regarde les émissions avec un peu de recul, on se rend bien compte qu’une partie des éditorialistes ne savent absolument rien du sujet sur lequel ils vont parler, et ça ne gêne absolument personne car ils sont là pour entretenir une sorte de petite musique. » Philippe Riutort est critique envers cette nouvelle forme d’éditorialisme, dans laquelle il a du mal à retrouver les fondements de ce genre. « Classiquement, l’éditorial est un texte qui est lu, mais il y a aussi des débat dans lesquels il peut y avoir des débordements et une forme de laisser-aller. Dans ces moments-là on n’est pas très loin du café du commerce, ce qui donne à s’interroger sur les limites du travail journalistique. » Une critique qui prend tout son sens alors que 16 éditorialistes sur les 20 de notre classement interviennent sur des chaînes d’information en continue.
Une question simple permet de mettre au clair la légitimité de l’intervenant. Est-ce que tel·le ou tel·le éditorialiste intervient parce que le média soutient ses prises de positions, ou simplement parce qu’il permettra de faire une bonne audience ? Prenons l’exemple de Dominique Seux, éditorialiste économique sur France Inter. Bien qu’il ait des orientations idéologiques, son domaine d’expertise est bien défini et lorqu’il est amené à débattre, il ne s’écarte pas de celui-ci. Un choix qui n’est pas celui de certains éditorialistes qui deviennent de « bons clients ». Eric Brunet est notamment amené à parler sur tous les sujets en donnant un opinion qui n’a pas plus de validité que l’opinion de n’importe quel citoyen·ne
Dans le viseur des critiques
Selon Philippe Riutort, dans une période de défiance envers les médias, « les éditorialistes sont amalgamés avec les journalistes », sans toujours faire partie de la profession. D’après nos analyses, leurs profils dénotent avec celui de la population, ce qui participe aussi à alimenter la critique.
Dans ce contexte, la question de leur encadrement se pose, mais paraît très peu probable alors même que l’Arcom a déjà du mal à réguler le temps de parole des groupes politiques en période électorale. Phillipe Riutort va même plus loin : « Si on interdit l’éditorial, il sortira par la porte et rentrera par la fenêtre ! »
Boîte noire
Pour établir la sélection des éditorialistes et leur classement nous avons recensé l’ensemble des éditorialistes qui interviennent sur les chaînes télévisées et les radios en France. Une première étape qui nous a permis de définir une cinquantaine de profils.
Nous avons ensuite cherché à retrouver le nombre d’émissions dans lesquelles ils et elles étaient intervenu·es entre le 01/01/2022 et le 12/10/2022, date à laquelle nous avons travaillé sur le sujet. L’étude de la base de données Inathèque dans des tableaux croisés dynamiques sur Excel, nous a permis de classer les éditorialistes pour ensuite sélectionner les 20 profils qui étaient le plus apparus à la télé et à la radio. En raison de l’absence de certaines données nous n’avons pas pu étudier le temps de parole individuel des éditorialistes, ni le contenu de leurs prises de position.
Les sources des images et des audios de la première infographie sont disponibles ici.