Par Juliette Gloria et Paul Lonceint-Spinelli
Un ou une Français·e sur deux avoue être fatigué de l’information, jugée trop anxiogène. Pour atténuer le flux continu et oppressant d’actualité qu’ils alimentent, des médias écrits décident de prendre le temps. Ils passent de la plume au micro, en créant des podcasts d’information, plus lents, plus intimes et proches de l’auditeur.
Pas facile de trouver la rédaction de Slate.fr dans le 11ème arrondissement de Paris. Rue Amelot, au fond d’une venelle se trouve un portail avec une simple étiquette papier indiquant la sonnette des bureaux. Mathilde Meslin vient nous ouvrir. Ses cheveux blonds sont tirés en queue de cheval et elle porte un pull rose pâle en maille. Parmi les contenus audio dont elle est responsable, la jeune journaliste anime Sans Algo, un podcast qui en recommande d’autres. Elle nous propose de descendre au sous-sol de l’open-space et de nous installer dans le studio confortable où elle a enregistré ses 59 épisodes. « Entre un push de trois lignes d’un média, et un podcast de vingt minutes où un journaliste va expliquer de façon claire, en contextualisant, c’est beaucoup plus accessible », constate t-elle.
Noyés sous l’info
D’après une enquête de la fondation Jean Jaurès parue en septembre 2022, plus d’un Français ou une Française sur deux dit être victime de fatigue informationnelle. « Les gens ont des journées de 24 heures, dont huit pour dormir et huit pour aller au travail, schématise Matilde Meslin en souriant. Il leur reste huit heures de temps, exploitables pour les médias. Tout le monde est très sollicité en terme d’information en écoutant la radio le matin, en recevant des notifications sur son téléphone. Il y a un sentiment de trop plein d’information, que le monde va trop vite, ce qui est très effrayant. » Ce sentiment est théorisé par David Shenk, qu’il surnomme « l’infobésité ». Cette surcharge peut engendrer un repli sur soi-même ou un changement d’activités sur son temps libre en préférant le divertissement à l’information.
« Le podcast, c’est l’anti chaîne d’info en continu »
Matilde Meslin, responsable des contenus audio chez Slate.
Face à ce décrochage, les médias en quête de nouveaux publics cherchent des solutions. « On est abreuvé d’informations, mais pas forcément d’explications. Le podcast propose un rapport à l’actualité beaucoup plus lent et avec plus de recul, décrypte Matilde Meslin. Ce que je dis toujours : le podcast c’est l’anti chaîne d’infos en continu. »
L’attrait pour ce nouveau support monte en flèche au sein des rédactions depuis 2017. C’est aux États-Unis que naît le modèle du genre, The Daily. Produit par une équipe de 80 journalistes du célèbre New York Times, ce long format audio de vingt minutes accompagne chaque jour plus de deux millions d’auditeurs et auditrices au son de la voix de Michael Barbaro, soit plus que le nombre de lecteurs quotidiens du journal papier. Le présentateur est devenu une référence pour les journalistes-podcasteurs français. « Pierrick Fay [présentateur du podcast des Échos, La Story, ndlr] copie le phrasé de Michael Barbaro », glisse Matilde Meslin.
L’actualité sous forme de récit
En esquivant les gouttes qui tombent sur la capitale, on arrive au 10 boulevard de Grenelle. Un grand bâtiment en verre héberge les bureaux des médias du groupe LVMH. L’équipe du Parisien y travaille. En lançant « Code Source » en mai 2017, elle devient pionnière sur les plateformes d’écoute. Tous les soirs à 18 heures du lundi au vendredi, l’actualité est racontée sous forme d’histoires, balayant le sport, la culture, la politique française et internationale. « L’idée, c’est de mettre en forme un sujet avec un début, un milieu, une fin. Pour bien construire une histoire, il faut commencer par la fin », décrit Jules Lavie, le rédacteur en chef et présentateur de l’émission.
À chaque épisode, un ou une journaliste de la rédaction prête sa voix pour retracer une actualité, au fil des productions qu’il ou elle a publiées. « Les journalistes vont parfois raconter comme c’était difficile d’avoir une information ou comment une star se comporte le micro coupé. Ce sont des gens qui ressentent intensément l’information », confie Jules Lavie. Raconter les coulisses de leur travail, c’est un moyen pour des noms écrits en petits caractères à la fin des articles de se rapprocher des citoyens. « Quand le ou la journaliste devient le personnage central de l’histoire, on donne quelques éléments de bio, l’âge, dans quel service il ou elle travaille, pour être en empathie avec lui ou elle, c’est l’une des bases du storytelling. »
« Pour bien construire une histoire, il faut commencer par la fin »
Jules Lavie, présentateur de Code Source
Jules Lavie a beaucoup appris en reprenant les codes narratifs du podcast à l’américaine, avec la lecture du livre Story de Robert McKee, par exemple. L’un des éléments centraux de cette proximité est l’emploi de la première personne du singulier : « Les journalistes peuvent dire “je”, ça fait partie des codes narratifs bannis dans les autres médias, où c’est considéré comme quelque chose de vulgaire », explique Matilde Meslin. « Connaître les journalistes du Parisien c’est une façon d’établir un lien de confiance », assure Jules Lavie.
Support universel
L’Heure du Monde, La Loupe de L’Express, La Story du journal Les Échos… Fin 2022, presque toutes les rédactions de médias écrits sont dotées de cellules podcast. Pour l’instant, les moyens n’arrivent pas à la cheville du Daily. Les podcasts d’informations français comptent seulement trois ou quatre postes à temps plein, quand une dizaine de journalistes conçoit chaque épisode du long-format américain.
La plupart des contenus français se font appeler « explainer », un « expliquant » si on traduit en français. Leur narration diffère de « Code Source », donnant plus d’importance au décryptage et à la vulgarisation de l’information qu’au storytelling : expliquer ce qu’est la raspoutitsa [une sorte de gadoue qui ralentit les mouvements militaires en Ukraine, ndlr], comme la fait La Loupe, se raconte moins bien que le parcours d’un éboueur star sur le réseau social Tik Tok (Code Source). Le premier s’explique, le second se conte avec un début, un milieu, une fin.
« Il faut rentrer dans le cœur d’un sujet pendant une vingtaine de minutes », illustre Pierrick Fay. Cet ancien d’Europe 1 présente « La Story », une capsule qui aborde les sujets économiques du moment. Son studio se trouve cinq étages au-dessus de celui de celui du Parisien. « La concurrence », comme il l’appelle en rigolant.
Difficultés des pêcheurs et pêcheuses pour lutter contre les poulpes envahissants, décorticage de l’épineux sujet McKinsey, rachat du club de football du Red Star, le présentateur s’attelle à montrer que l’économie ruisselle dans tous les secteurs d’activité. « Quand elle est expliquée, l’économie n’est pas compliquée, affirme Pierrick Fay. C’est juste que le traitement de plus en plus fait par les médias est polémique, il faut aller à la recherche de la petite phrase qui va faire le buzz, c’est ce qui va créer cette fatigue informationnelle. »
Le podcast s’avance comme solution pour réconcilier le citoyen ou la citoyenne et les médias : environ 32% des Français et Françaises disent écouter au moins un podcast natif par mois. Le nombre de téléchargements de « Code Source » par exemple, progresse constamment.
Mais qui sont ces auditeurs et auditrices de podcasts ? Difficile de connaître leur profil, le podcast étant un support récent, aucune véritable enquête sociologique n’est pour l’instant parue. « Un podcast, on peut pas tomber dessus par hasard. Il faut cliquer en moyenne quatre fois, l’auditeur ou l’auditrice a choisi d’être là », pense Matilde Meslin. Pour aller chercher le podcast, il faut souvent connaître, en amont, le média qui le produit.
Ce nouveau support audio use de nombreux codes pour retisser un lien de confiance avec le citoyen ou la citoyenne, mais suffit-il pour mettre fin à la crise informationnelle ? Une chose est certaine, les audiences continuent de croître, le podcast a un bel avenir devant lui.