Les femmes écartées de la table des éditorialistes

Par Fanny Baye et Aude Cazorla

Cinq ans après le #MeToo des médias, les rédactions tendent de plus en plus vers une organisation interne paritaire. Ce phénomène n’a pourtant pas atteint l’univers des éditorialistes, encore très masculin.

Sur la question des femmes éditorialistes, aucune donnée officielle n’existe. Il suffit pourtant d’un rapide coup d’œil aux titres de presse écrite pour constater un écart évident. Les éditos restent la chasse gardée des hommes. 

Selon nos relevés, de juillet à septembre 2022, seulement 22 % des 494 éditos publiés dans les titres de presse de référence* ont été signés par des femmes journalistes. Et cela dans des rédactions où le poste d’éditorialiste est monopolisé par des hommes.

L’éditorial, vitrine idéologique d’un média, reste considéré comme un genre noble dans la profession. Souvent positionné en ouverture du journal, c’est un article qui engage l’opinion de la rédaction sur un fait d’actualité.  

Le prestige de donner son avis

L’opinion du journal a longtemps été le monopole des hommes, majoritaires au sein des grands titres. Malgré la volonté de promouvoir plus de parité, leur organisation interne reste marquée par des écarts de genre.

Aurélie Olivesi, maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Lyon 1, estime que les éditoriaux revêtent un aspect prestigieux. « Ce ne sont pas des journalistes en début de carrière qui les rédigent et la structure interne des médias fait que ce sont surtout des hommes. » Pour l’enseignante-chercheuse, l’éditorial est aussi un exercice particulier : « Donner son avis, c’est aussi une certaine façon de considérer sa propre énonciation. »

Aurélie Olivesi, qui s’intéresse au sexisme dans la sphère médiatique, voit une forme de solution dans la création de nouveaux médias. « Il faut penser de manière plus large et ne pas seulement s’axer sur les médias traditionnels. » Mais ces nouvelles pratiques, plus féministes et paritaires, se cantonnent au journalisme de niche, moins lu que le reste. 

Pour le premier épisode de notre podcast, nous avons rencontré Anaïs Bouitcha, journaliste et chargée du pôle formation de Prenons la Une, et Patrick Eveno, professeur émérite à la Sorbonne et historien de la presse. Dans le second volet, nous donnons la voix à Alexandra Schwartzbrod, éditorialiste au journal Libération, Valérie de Senneville, journaliste aux Echos et Isabelle Germain, fondatrice des Nouvelles News.

* Le Monde, La Croix, Libération, L’Humanité, Le Figaro, Les Echos, Le Point, Sud Ouest

Boîte noire

En l’absence d’études sur la parité de l’équipe éditorialiste des titres de presse écrite, nous avons créé notre propre jeu de données. Sur les mois de juillet, août et septembre 2022, nous avons recensé le genre des signataires de chaque éditorial publié par une sélection de journaux : Le Monde, La Croix, Libération, L’Humanité, Le Figaro, Les Echos, Le Point, Sud Ouest. Nous avons ensuite recensé la fréquence à laquelle les hommes et les femmes éditorialistes dans ces titres ont rédigé l’édito. Sur cette base de données, nous avons observé que la parité reste très largement absente au sein des équipes éditoriales. Et quand bien même celle-ci est paritaire, les signatures d’éditos restent unanimement masculines (exemple : à La Croix, l’équipe éditoriale de juillet à septembre 2022 était constituée de 4 hommes et 4 femmes. Sur cette période, 54 éditos ont été rédigés par ces hommes, et seulement 23 par les femmes).