En Bretagne, des irréductibles journalistes brisent l’omerta

Par Marthe Gallais et Bastien Marie

Parler ou se taire, un dilemme auquel les journalistes sont parfois confronté·es. Quand l’omerta dicte ses règles et que les pressions sont monnaie courante, l’autocensure devient un risque. Des journalistes breton·nes exercent leur métier sous la menace.

Le calme est revenu devant la Taverne du roi Morvan. L’agitation qui prévalait la veille a disparu, les conversations bruyantes des clients et clientes se sont éteintes. Au petit matin, ce bar du centre de Lorient (Morbihan) perd ses allures de lieu de vie emblématique. Quelques chaises ont été rangées les unes sur les autres à l’abri de la pluie. Le parc d’en face paraît bien vide. Les arbres qui le décorent perdent leurs feuilles les unes après les autres. La taverne se réveille à peine. La nuit a été courte.

Yuna Cojean a perdu le rythme des sorties jusqu’aux aurores. La jeune femme de 26 ans est journaliste à Bro Gwened, une radio associative basée à Pontivy (Morbihan), à une cinquantaine de kilomètres au nord de Lorient. Lorsque les derniers clients et clientes quittent la Taverne du roi Morvan, Yuna se réveille pour partir travailler. Tous les matins, elle présente les informations en breton, les « keleier ar vro ». La journaliste quitte en suivant les studios de sa radio pour partir en reportage à bord de sa voiture bleue. Sur la vitre arrière, plusieurs autocollants aux couleurs des radios associatives bretonnes. Certains se décollent. Peut-être à cause de la pluie.

À l’intérieur du bar, l’ambiance est plus chaleureuse. Les premier·es venu·es sont accueilli·es par de la musique celtique, la même qui, la veille, faisait danser les derniers fêtard·es. Une carte topographique de la Bretagne a été accrochée au plafond par quelques punaises de couleurs. Yuna Cojean est assise juste en dessous. La table a été installée sur une petite estrade, dans un coin du bar. Elle se tient droite, les mains l’une sur l’autre.

Toujours les mêmes qui parlent

Yuna est une journaliste bretonnante. Elle ne parle pas seulement breton avec ses ami·es. Elle travaille au quotidien dans cette langue régionale, pour ses reportages, ses interviews ou encore les informations du matin. Yuna n’est pourtant pas bilingue depuis son enfance. Elle a décidé d’apprendre le breton à la sortie de son école de journalisme. Un choix qu’elle ne regrette pas et qu’elle porte avec passion. « Il y a un lien de confiance qui s’établit plus vite quand on parle breton, analyse-t-elle avant de reprendre : Les gens s’ouvrent plus. Il y a presque un côté militant. » 

Dans l’arrière salle de la Taverne du roi Morvan, Yuna Cojean s’explique sur l’exercice de son métier : reportrice bretonnante. ©Bastien Marie.

L’absence de soleil et les quelques gouttes de pluie de cette matinée donneraient presque raison à la réputation qui accompagne la Bretagne. Freinée par des rideaux en dentelles, la lumière peine à entrer à l’intérieur de la taverne. Le cadre est intimiste. Yuna Cojean raconte son quotidien de journaliste avec ardeur, d’abord, mais aussi avec du recul sur les enjeux de l’exercice de son métier dans un territoire rural. Parler en breton, c’est aussi s’adresser à une certaine partie de la population. « C’est plus compliqué par exemple de trouver des sources. Je passe entre 40 et 50 % de mon temps à chercher des gens qui parlent breton pour mes sujets. » Facilitées par la langue, les relations qu’entretient Yuna avec ses contacts nécessitent parfois d’être remises en questions. 

Plus proche de leurs sources, les journalistes locaux sont-ils ou elles plus tenté·es de mettre en avant les mêmes interlocuteur·ices ? Sinon par connivence, au moins par facilité, il est parfois plus confortable de faire parler les mêmes personnes. En parlant en breton, ce constat s’accentue. Yuna Cojean est confrontée à cette réalité de terrain. Une situation « un peu compliquée », qu’elle essaie de résoudre à longueur de reportages : « Il ne faut pas tomber dans la facilité d’appeler une même personne parce qu’on s’entend bien avec elle et qu’on sait qu’elle a un beau breton. » Dans le sens inverse aussi, Yuna s’applique à faire primer sa déontologie. Absence de connivence et effort de diversification des sources, mais aussi engagement pour les faits, quels qu’ils soient. « Je crois qu’on doit parler de tout. Du moment qu’on reste factuel, il n’y a rien à se reprocher. » Se contenir, se brider, ou se taire, autant de possibilités que Yuna se refuse d’envisager. « Ça m’emmerde ce genre d’esprit. »

Le grand roman régional 

La pluie s’est arrêtée à Lorient. Yuna s’apprête à rejoindre sa voiture pour repartir vers Pontivy. Décalée par ses réveils matinaux, la journaliste vit sur un autre fuseau horaire. Elle reste pourtant attachée aux exigences déontologiques de sa profession. À la réalité de son territoire aussi. 

Depuis plusieurs années, la presse nationale et locale s’intéressent aux dessous de la filière agro-alimentaire bretonne. Un mastodonte économique soutenu par de nombreux groupes industriels, syndicaux et élu·es, qu’il n’est pas toujours bon de chatouiller. Face à des confrères et consœurs non breton·nes, qui repartent dans leur rédaction après leurs enquêtes et reportages, les journalistes de la presse locale bretonne sont les premier·es confronté·es aux pressions. Un constat : « Il y a énormément de lobbying agroalimentaire en Bretagne. Quand on touche ce sujet et qu’on creuse, il y a des gens qui ne vont pas être très heureux. »

À 70 kilomètres de là, il est une commune où une journaliste a décidé d’enquêter sur les sujets agroalimentaires. Briser l’omerta est un sport de combat pour elle. Dans les Côtes-d’Armor, Morgan Large travaille à Radio Kreiz Breizh depuis 20 ans. Trois mille habitants et habitantes, une église du XIIIe siècle, un festival annuel de gavotte, c’est dans la ville de Rostrenen que cette radio locale a décidé de s’installer. Fraîchement déménagés, les locaux du média associatif ont investi une ancienne banque. 

Le long de la D790, la commune de Rostrenen accueille les studios de Radio Kreiz Breizh. © Bastien Marie.

Dans les couloirs de la radio, un escalier en colimaçon descend vers les sous-sols. Une énorme porte blindée sépare la pièce en deux. Le coffre-fort a été transformé en entrepôt pour les archives des enregistrements et les disques de musique. Plus haut, le bureau du directeur ou de la directrice de la banque a laissé place au studio. Même avec les barreaux aux fenêtres, on oublierait presque l’ancienne fonction du lieu. 

Récompenser ou punir

La porte de la radio s’ouvre. Il est 14 heures, Morgan Large rentre de sa pause avec sa chienne. Son émission « La Petite Lanterne » vient d’être diffusée sur la fréquence 102.9. Un programme qu’elle avoue ne jamais écouter, mais dont elle est heureuse d’avoir su « donner une couleur ». Dans son bureau, « le plus en bordel », une dizaine d’affiches égayent les murs. Certaines portent des messages politiques, d’autres rappellent des événements culturels de la région, comme le festival international de clarinette populaire. 

Morgan Large partage sa journée entre le montage de son émission « La Petite Lanterne » et ses reportages. © Bastien Marie.

Vue par Morgan Large, la Bretagne n’est pas un territoire si différent du reste de la France. Elle constate néanmoins une grande difficulté à évoquer les sujets agricoles et environnementaux. « La Bretagne a construit son roman régional agricole. On a démontré et montré que ça avait été magique, mais on a caché très vite qu’il y a eu d’énormes crises. Et elles demeurent. » Pour avoir menée et diffusée des enquêtes sur le monde agroalimentaire, la radio de Morgan Large s’est vue retirer plusieurs subventions publiques de la part de municipalités de la région. Une perte de financement conséquente pour cette radio associative que Morgan déplore. « Pour eux, c’est très décomplexé de se servir de l’argent public pour récompenser ou punir. C’est comme s’ils avaient l’association des boulistes en face. Mais on est pas une association comme les autres. L’info, c’est compliqué. »

« C’est ça qu’on appelle l’autocensure »

« Les gros groupes industriels mettent souvent des procès baillons aux journalistes. Le problème c’est que pendant qu’un journaliste prépare sa défense, il ne peut plus travailler en même temps. Forcément, ça calme. » Une intimidation judiciaire de plus en plus pratiquée à l’encontre des journalistes indépendant·es, comme ce fut le cas avec Ines Léraud. En mars 2019, cette reportrice publiait un article dans le média en ligne Basta! sur les pratiques de l’entrepreneur breton Jean Chérite. Un grossiste de fruits et légumes. Elle a été poursuivie pour diffamation jusqu’à l’abandon des plaintes par l’industriel.

« Quand on fait ce métier il faut aussi savoir s’occuper de la partie technique. » © Bastien Marie.

Lorsqu’elles ne sont pas judiciaires ou financières, les pressions exercées sur les journalistes peuvent prendre des tournants plus personnels. Dans les studios de Radio Kreiz Breizh, Morgan Large se souvient des atteintes qui lui ont été portées entre novembre 2020 et mars 2021. « C’était à la suite d’un reportage sur l’implantation d’une installation de poulets », raconte la journaliste en trifouillant sur le bureau, les quelques disques de musique posés. Après avoir dénoncé les dérives de l’agriculture intensive, les portes de la radio ont été forcées et sa chienne empoisonnée – elle a pu être soignée. 

En mars 2021, après plusieurs jours à rouler avec sa voiture personnelle, Morgan Large se rend compte que l’une de ses roues a été déboulonnée. Une attaque dirigée vers la journaliste mais qui aurait pu avoir des conséquences bien au-delà. « Ce n’est pas une voiture professionnelle. J’ai deux enfants. D’ailleurs, ils n’ont pas mon nom. Je préfère qu’ils aient le nom de leur père. » Quand les insultes se transforment en menaces, les intimidations en sabotages, la reportrice se sent obligée de réfléchir à deux fois avant de se lancer dans certaines enquêtes. « Des méthodes de mafieux » qu’elle ne peut pas ignorer. « J’ai peut-être assez d’emmerdes. » Morgan Large rit jaune. Elle serre un peu les dents. « C’est ça qu’on appelle l’autocensure. »

Enquêter : c’est le Splann

Pour continuer d’enquêter et se protéger des pressions et menaces, plusieurs collectifs d’investigations ont émergé en Bretagne. C’est le cas de Splann, « clair », « limpide » en français, une ONG d’enquêtes journalistiques. Morgan Large en est membre aux côtés d’une dizaine d’autres confrères et consœurs. Financée en grande partie par les citoyens, la structure est pensée sur le modèle de Disclose. « La première année, on a récolté 80 000 euros. Ça permet de payer les journalistes pour qu’ils et elles enquêtent. »

De l’autre côté de la route, en face des studios, Morgan Large a l’habitude de prendre la pause. © Bastien Marie.

À plusieurs, elles et ils ont notamment travaillé sur les revers de la méthanisation ou sur les nuisances invisibles de l’ammoniac. Les enquêtes sont ensuite mises à disposition des gros médias pour être reprises et largement diffusées. « Il y a du boulot en Bretagne. Nous ouvrons les dossiers et partageons les sources. Quand on a une info, on la donne. »

Un créneau de l’investigation locale à prendre, et qui selon Morgan Large, n’a pas été suffisamment investi par la presse locale traditionnelle. « Dans la presse quotidienne régionale, quand on a un sujet environnemental, à côté, on a le point de vue la chambre d’agriculture ou celui de la FNSEA. Tout est assez cadré, dénonce-t-elle. J’ai l’impression qu’il y a une indépendance assez fictive. » La journaliste retourne dans son bureau. En parlant de la prochaine enquête qui sera publiée par le collectif, elle s’aperçoit que la dernière lecture est prévue pour aujourd’hui. L’enquête « Implants Essure » a été rendue publique au mois d’octobre 2022, puis reprise par Le Monde

La méthanisation passée au crible

18 heures. De nouveau à la Taverne du roi Morvan. La pluie a cessé et le pub s’est rempli. Raphaël Baldos, journaliste indépendant, se tient debout en terrasse. « Ce bar est une institution à Lorient surtout lors du festival interceltique. » Le quarantenaire lorientais travaille le plus souvent pour La Croix et l’Agence France Presse. Il y a un an, il a rejoint le collectif Splann, persuadé de la nécessité de faire de l’enquête locale sur les sujets liés à l’agroalimentaire. 

Fin de journée pour Raphaël Baldos à Lorient. © Bastien Marie.

C’est sa passion pour la voile qui a fait dériver ce Parisien sur les côtes du Morbihan. Ce pied marin, il se devine par sa parka bleue striée de deux larges bandes jaune fluo qui cache une chemise kaki froissée. Ces derniers mois, Raphaël Baldos a passé plus de temps sur terre. En septembre 2022, il a publié l’enquête réalisée avec la journaliste Julie Lallouët-Geffroy sur les méthaniseurs en Bretagne, après six mois de travail. « En Bretagne, la méthanisation sous pression » raconte les dérapages de cette industrie permettant de transformer des matières organiques en gaz. Non-respect des lois, désastre écologique, danger sanitaire, sont autant de problèmes que les méthaniseurs ont préféré laisser de côté tandis qu’ils s’implantaient sur le territoire. 

Renouer le dialogue 

Si Raphaël constate qu’il n’a pas rencontré de difficultés particulières sur le terrain lors de l’enquête, le sujet auquel elles et ils se sont attaqué·es reste sensible. « Les agriculteurs sont sous tension parce qu’ils ne gagnent pas grand-chose et sous pression parce qu’ils ont peur des coopératives. Lorsqu’on vient les voir, forcément, ils ne nous accueillent pas les bras ouverts. » Il se souvient d’un homme qui les avait aiguillés sur le terrain : « Il ne voulait pas rester trop longtemps devant les méthaniseurs, parce que des caméras étaient installées sur site et qu’il ne se sentait pas le bienvenu. Cette peur des agriculteurs m’a surpris. »

En Bretagne, 186 méthaniseurs parsèment la campagne. Le collectif Splann a enquêté sur les dessous de la production de cette énergie renouvelable. © Bastien Marie.

Ce climat tendu, Raphaël l’a aussi retrouvé chez les exploitants et exploitantes de méthaniseurs. « Au début, ils sont sur leur garde. Ils ont l’impression qu’on est là pour leur taper dessus. Lorsqu’ils se rendent compte qu’on écoute leur argument et qu’on le retranscrit dans l’enquête, ils changent d’avis. » Mains dans les poches, le journaliste souligne l’importance de cette retranscription du contradictoire. « Cela permet de renouer le lien avec les agriculteurs. » 

18 h 30, les conversations sur la terrasse deviennent de plus en plus fortes et recouvrent la musique celtique qui s’échappe de l’intérieur. Le portable de Raphaël sonne. C’est son fils. Il enregistre une conférence à laquelle son père ne peut pas assister et rencontre quelques problèmes techniques. Après quelques minutes, il reprend : « Certains journalistes peuvent se retrouver dans des situations violentes et stressantes. Lorsqu’on habite à côté des exploitations agricoles et qu’on enquête au plus près de chez soi, ça peut devenir compliqué. » Le journaliste évoque l’exemple de Morgan Large. Dans son cas, il a toujours évité de faire des sujets trop proches de chez lui. Une manière de se protéger et de garder une certaine intimité. 

En périphérie de Rostrenen, les sites de méthanisation sont protégées par de larges grilles. Les curieux et curieuses sont accueilli·es par des caméras ou comme ici, par des fresques. © Bastien Marie.

Gros titres, gros enjeux 

Travailler dans un collectif, dans des radios associatives permet de se protéger vis-à-vis du lobbying de l’agroalimentaire. Qu’en est-il des titres de presse régionaux et locaux dépendants de la publicité ? André Thomas a été responsable des pages Agriculture et agroalimentaire de Ouest-France pendant deux ans. Il explique que c’est dans cette rubrique que la pub est la plus présente et surveillée. « Il est déjà arrivé que les annonceurs publicitaires fassent pression sur le journal. » Une réalité qui correspond au témoignage de Morgan Large. Cependant, les conclusions ne sont pas les mêmes chez les deux journalistes. Si la reportrice de Radio Kreiz Breizh constate que la presse régionale s’est dessaisie des sujets agroalimentaires, laissant un vide dans le traitement de l’information, André Thomas assure que la publicité n’a pas d’impact sur la publication. 

Sur la route entre Lorient et Rostrenen, ce relais de presse a baissé le rideau. © Bastien Marie.

Le journaliste rappelle que le rythme du quotidien entraîne une couverture régulière de ces sujets. « Nous ne sommes pas Mediapart. Chaque jour, des articles sortent sur l’agriculture. Les angles sont différents à chaque fois et permettent de couvrir la diversité de point de vue. Nous faisons de l’enquête aussi. » S’il n’a pas lu les enquêtes publiées par Splann ! sur la méthanisation et l’ammoniac, il rappelle que les sujets dont s’est emparé le collectif ont aussi été traités par Ouest-France. 

Si Morgan Large est un peu critique vis-à-vis de la presse quotidienne régionale, elle reconnaît « le professionnalisme de ses collègues ». En milieu d’après-midi, la journaliste quitte le studio. Dans cette ancienne banque, elle rejoint le dernier étage occupé par plusieurs associations culturelles. « C’est une vraie fourmilière ici. » Sur le palier, des affiches recouvrent les murs. Une des locataires du bâtiment sort de son bureau et l’interpelle. « Un gars sur twitter a demandé s’il existait encore un journaliste honnête en France. J’ai répondu Morgan Large. »


SOS d’une corres en détresse

Qu’en est-il des journalistes qui se retrouvent à couvrir l’information d’un territoire seul ? Bien souvent ce sont aux correspondant·es de presse locaux qu’incombe cette responsabilité. Ils remplissent les pages des journaux régionaux et locaux. Ni journaliste salarié·e, ni pigiste mais plutôt travailleur·ses indépendant·es. Ils assurent cependant les mêmes missions qu’un journaliste, tout en étant moins payés. C’est pour cela qu’ils cumulent souvent un deuxième emploi. 

Restons sur la côte Atlantique pour nous enfoncer dans des coins plus ruraux. Dans le café d’un petit village du littoral, une correspondante patiente. À côté d’elle, une pile de manuels d’histoire ramassés dans la boîte à livres de la place. « J’en remettrai en échange, promis », lance-t-elle, l’œil pétillant. Patricia (le nom à été changé), préfère rester anonyme. Elle craint des représailles de ses sources et de ses employeurs. Pour elle, le café n’est pas un lieu comme les autres : « On y prend le pouls du territoire, qu’on trouve ses témoignages, des pistes, des sources. » Pas facile pourtant de rester discret dans un tel lieu. De l’autre côté de la vitre, la correspondante du territoire voisin la regarde par à-coups. Cette coïncidence stresse Patricia qui la surveille du coin de l’œil.

 

Patricia passe la plupart de son temps dans les lieux animés de son territoire, à la recherche d’informations pour ses sujets. © Bastien Marie.

« Je ne fais pas mon travail comme je voudrais »

En cette fin de semaine, les écolières et écoliers passent dans les rues et emplissent le village de leur cris. Patricia plante son décor. « Quand tu es correspondante dans un petit territoire, soit tu lèches les bottes des élus et tu n’as pas de soucis, soit tu as l’échine plus raide, tu cultives moins le relationnel et là tu es placardée. » La correspondante refuse d’être consensuelle. « Quand j’ai une information, je la traite ! » Ce qui entraîne son lot d’ennuis. Au-delà du relationnel, les conséquences sont aussi économiques dans le cas de Patricia. « On m’a souvent refusé des emplois, il ne reste alors que les postes pourris. » 

Pour Patricia, témoigner à visage découvert pourrait avoir des répercussions dans son travail. © Bastien Marie.


Correspondante depuis la fin des années 1980, Patricia est revenue sur son territoire il y a 15 ans. Elle est une exception dans la famille des correspondant·es de presse puisqu’elle a fait une école de journalisme. La plupart du temps, elles et ils sont des étudiant·es, des retraité·es ou des fonctionnaires.

« J’essaye des fois de refiler la patate chaude à mes rédactions, mais la plupart du temps, comme nous sommes dans un territoire reculé, c’est moi qui suis envoyée au charbon. » Cette charge n’est pas sans conséquence sur le moral de la correspondante. Elle s’interroge de plus en plus sur son avenir dans ce métier. Le coût à payer étant bien lourd par rapport à « la faible rémunération et au manque de considération des rédactions ». Patricia lance un bref regard sur sa collègue correspondante. Elle a quitté sa table. Patricia parle plus librement. Quand on lui demande si elle est une bonne correspondante, elle répond spontanément : « Je ne fais pas mon travail comme je voudrais. »