Par Arnaud Connen de Kerillis et Julien Mazurier
L’Humanité a publié début octobre les deux premières vidéos d’une série, consacrées à la critique médiatique. Pas de journaliste devant la caméra, le quotidien fondé par Jean Jaurès a fait appel à des youtubeurs, Osons Causer et Bolchegeek. Des habitués de l’exercice qui, comme certain·es de leurs confrèr·euses dans les derniers mois, publient désormais pour des rédactions nationales.
Mediapart, Blast ou Le Média ont déjà franchi le pas en collaborant avec des youtubeurs comme Usul, Ostpolitik ou le Stagirite. Le partenariat avec L’Humanité est d’ailleurs le deuxième d’Osons Causer, qui avait publié une série de vidéos sur la chaîne de Mediapart lors de la campagne présidentielle de 2017.
« La critique médiatique, c’est un exercice qu’on peut faire depuis chez soi, sans budget, explique Usul. On dépend des images produites par les grands médias, donc on les regarde. Et puis on les critique. » Un élément matériel pour expliquer la prolifération des contenus abordant la question du traitement médiatique des événements, sur YouTube et sur Twitch. Mais ce n’est pas tout. « Nous, on a commencé à faire des vidéos pour lutter contre la présence de l’extrême droite sur Internet, revendique Ludo, de la chaîne Osons Causer. On a vu des copains, des frères, des pères se faire totalement « soraliser », parce qu’avant 2015, à part Usul, il n’y avait presque que des mecs comme Soral sur Internet. »
Exclu de certains médias, comme Jean-Marie le Pen avant lui, Alain Soral est l’un des premiers à avoir investi le Web pour continuer à produire du discours. Une rhétorique antisémite dirigée vers les grands patrons de presse, par ailleurs étayée par la dénonciation du « système médiatique », qui pioche allègrement dans les théories d’intellectuels de gauche comme Noam Chomsky, Pierre Bourdieu et Serge Halimi. « Soral est l’un de ceux qui arrive à assortir la colère de son public d’une certaine direction politique », déclarait à ce propos l’auteur des Nouveaux Chiens de garde (1997) au micro de Daniel Mermet sur France Inter en janvier 2013.
Une influence qui a conduit aujourd’hui à la suppression de la chaîne YouTube d’Alain Soral, ainsi qu’à l’émergence de toute une génération de youtubeurs souhaitant contrebalancer cette mainmise de l’extrême droite sur la toile.
Avec ce genre de partenariats noués auprès de rédactions nationales, ces vidéastes politiques cherchent donc à parler au-delà de YouTube. « Quand on fait des vidéos en tant qu’indépendants, on est dans son coin. Malgré les vues, on a finalement assez peu de retour », regrette Ludo d’Osons Causer. « Je ne connais aucun média qui ait reconnu la pertinence de la critique développée par Acrimed ou par tel ou tel youtubeur », ironise Fabrice Barnathan, alias Le Stagirite. Malgré leurs partenariats, ces chroniqueurs d’un genre nouveau déplorent que seule la presse d’opinion ne s’astreigne à cet exercice. « On est à la marge, on a le droit de faire ça dans des petites rédactions, mesure Usul. Mais moi, ça me fait chier ! J’aimerais bien, à terme, intégrer des médias grand public. Mais avec ce qu’on fait, il va falloir attendre longtemps je crois … »