Climat : silence, ça chauffe !

Par Salomé Chergui et Candice Mazaud-Tomasic

Été 2022, un béluga s’est perdu dans la Seine. Pendant des jours, il a occupé nos esprits, fait le bonheur des chaînes d’information en continu. Un feuilleton qui en dit long sur le traitement médiatique de l’écologie. Comme un mauvais présage, il est venu nous alerter : l’urgence est déjà là. Et les journalistes ne peuvent plus fermer les yeux.

Bronzages dorés, maillots de bain et châteaux de sable ont investi le bassin d’Arcachon en juillet 2022. Les vacancier·es se baignent dans une eau anormalement chaude. À l’horizon, d’épaisses colonnes de fumées noires montent vers le ciel. D’immenses flammes détruisent les forêts de Gironde. En ouverture des JT, ces images tournent en boucle. « Les catastrophes de cet été ont joué un rôle d’électrochoc pour les médias », résume la journaliste indépendante Anne-Sophie Novel au téléphone. 

Pourtant, certaines chaînes de télévision ont continué de montrer des scènes de touristes à la plage, glace à la main. Idem du côté de la presse régionale. En une du Populaire du Centre, l’image d’une « canicule heureuse ».

Le constat est sans appel. Les médias ne sont pas à la hauteur de l’urgence écologique. « Les journalistes participent à une amnésie collective. Ils décident que ça n’intéresse pas les gens », assène Eva Morel, rencontrée sur un banc face à l’Assemblée Nationale. Elle est présidente de l’association Quota climat et milite pour l’instauration d’un quota de 20 % de sujets liés à l’urgence écologique dans les médias. Un ou une Français·es sur deux estime que ce thème n’est pas assez traité (enquête Assises du journalisme septembre 2021). Et pourtant, le rôle des journalistes est décisif.

« Les médias traditionnels transmettent les informations sur le changement climatique. Ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir »

Deuxième volet du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 28 février 2022.

Climaoutai ? 

Entre 2010 et 2019, les rédactions ont consacré seulement 1 % de leurs contenus au climat (Étude médias climat-reporters d’espoir, 2020). Loin derrière, les décryptages politiques et les reportages société. « Plusieurs fois au cours de ma carrière, on m’a répété de ne surtout pas parler du climat car ça ferait fuir les gens », confirme Anne-Sophie Novel. 

Pendant longtemps, on ne parlait d’écologie qu’en cas de catastrophe naturelle. Des rapports scientifiques de premier ordre sont passés sous silence. Beaucoup de journalistes retiennent la date du 9 août 2021, celle de la sortie du premier volet du sixième rapport du GIEC. Document primordial pour la prise de conscience et l’action politique, il est très vite éclipsé par l’annonce du transfert de Lionel Messi au PSG. Rebelote cette année. Léa Salamé et Gilles Bouleau n’ont consacré que deux questions à l’écologie lors du débat de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle.

Assise dans un fauteuil rouge de la tour TF1, Christelle Chiroux, directrice adjointe de l’information en charge de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) du groupe, défend sa paroisse. « On est là pour faire de la pédagogie, pas pour culpabiliser. En ce moment, ce qui intéresse les Français, c’est de savoir comment ils vont finir le mois, pas le climat. » Pour l’ancienne journaliste, le sujet doit être mis de côté si l’actualité l’impose. Pouvant toucher jusqu’à 32 millions de personnes quotidiennement grâce à quatre chaînes de télé, TF1 aurait « fait du climat un enjeu prioritaire depuis bien longtemps », selon Christelle Chiroux.

En octobre 2021, Arrêt sur Images avait passé au crible les JT du 13h et du 20h de la chaîne. Des exemples de familles « heureuses » profitant des chaleurs anormales au début de l’automne. Sans faire le lien avec le dérèglement climatique. 

Le clash plutôt que la science

Les médias ne parlent pas suffisamment de l’urgence écologique. Et ils en parlent mal. « L’écologie n’est pas qu’une rubrique Planète. C’est un sujet transversal », s’exaspère Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef du magazine Socialter. Dans le cadre de ces reportages, le lien entre les évènements extrêmes et le dérèglement climatique n’est tout simplement pas rappelé. Le contexte n’est ni expliqué, ni analysé.

L’ère du clash et du buzz n’épargne pas l’urgence climatique. Des séquences qui ressemblent étrangement au film américain Don’t look up. « On tombe dans ce que les médias aiment : un clivage fort, une polémique ou une polarisation », analyse la présidente de Quota Climat, Eva Morel.

Invitée sur le plateau de RMC, Sasha, activiste de Dernière Rénovation, se fait invectiver par la journaliste Apolline de Malherbe : « Quel respect avez-vous des autres ? ». Là encore, le discrédit est jeté sur les militant·es, sans prendre le temps d’expliquer l’intérêt de la désobéissance civile. 

« Beaucoup de médias privés ne prennent aucun engagement »

La faute à la concentration des médias et aux chaînes d’info en continu ? « Les médias privés ne prennent aucun engagement car les actionnaires ont des intérêts économiques à ce que cela n’avance pas, analyse Eva Morel. Cela impose une contrainte de temps, on ne va pas au fond des choses. » Alors que le manque de formation des journalistes sur le sujet est évident.

Par ailleurs, les rédactions sont de plus en plus financées par la publicité. « Une énorme partie des revenus de certains médias privés, comme TF1, repose sur les transports carbonés. » Facteur supplémentaire : la connivence. Dans le portefeuille de Bouygues figure la première chaîne, mais aussi des entreprises polluantes. Ces mêmes sociétés redouteraient des sujets pointant leurs manquements liés à l’environnement. Même problème pour L’Express, M6, Le Point ou BFM.

Aborder le traitement médiatique de l’écologie reviendrait à repenser l’entièreté du système économique et politique. « Ça touche des bases profondes de notre société, comme la croissance ou le PIB. Cela impose de rompre avec un certain confort qui concerne aussi les journalistes », explique Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef de Socialter

Pour autant, beaucoup de professionnel·les engagé·es croient à une prise de conscience des journalistes depuis cet été. « La couverture médiatique sur ces sujets s’est accrue, même si ça reste faible. L’actualité nous oblige à en parler », espère Anne-Sophie Novel.

Ces médias qui passent au vert

Eva Morel rappelle les enjeux : « Les médias font l’actualité. S’ils décident de parler d’un sujet, ça fait le buzz, sinon c’est invisible. » Mais les choses bougent. Il suffit d’aller jeter un œil du côté des rédactions indépendantes et des médias spécialisés comme Socialter, Reporterre, Climax, Vert ou la revue Far Ouest

Récemment, beaucoup de rédactions traditionnelles commencent à investir le champ de l’écologie. France Télévisions a annoncé un large plan de formation de ses journalistes et rédacteur·ices en chef. Radio France a fait de la crise climatique un axe éditorial majeur. Même le groupe TF1 s’empare finalement de ce sujet. « On a décidé de créer un comité d’experts, à la disposition des reporters et présentateurs par exemple. On forme aussi nos rédactions », annonce Christelle Chiroux, en charge de la RSE du groupe. Néanmoins, cette formation ne sera pas obligatoire et reposera sur le « bon vouloir des journalistes », précise-t-elle. 

À la rentrée, un groupe de professionnel·les a publié la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Signée par plus de 1600 journalistes et rédactions, elle tente de proposer une feuille de route, une démarche à suivre, un engagement à tenir.

Liens entre climat, biodiversité et justice sociale, treize points qui interrogent nos pratiques. « Ça acte aux yeux de tous, y compris dans la profession journalistique, qu’il y a une évolution culturelle à l’égard de l’écologie et de son traitement dans l’actualité« , affirme le rédacteur en chef de Socialter, Philippe Vion-Dury. Une boussole pour permettre aux citoyen·nes et aux responsables politiques de faire des choix éclairés pour notre avenir. Reste à faire ses preuves.